
Mal de mer : la volonté d’Alanna Mitchell de démocratiser les sciences
Alanna Mitchell est ici pour nous parler de l’océan. Il est plus important qu’on ne le croit et il est en danger.
Armée d’un tableau noir, d’un morceau de craie et d’un pichet de vinaigre, Mitchell, une journaliste canadienne, performe son one-woman show captivant, un spectacle non fictif intitulé Mal de mer qui nous décrit le malaise de nos océans, et comment une telle situation va en affecter la vie telle que nous la connaissons autour du globe.
Présente à Darwin pour le festival éponyme, Mitchell déclare à Canada Down Under que ce spectacle est sa tentative d’expliquer un tel sujet scientifique complexe pour le rendre accessible au plus grand nombre.
“Les gens peuvent me qualifier de militante écologiste, déclare Mitchell, mais ce n’est pas comme cela que je me vois.”
“Je me vois comme une démocratisatrice des sciences, c’est le rôle que j’aimerais endosser, ce qui signifie que lorsque les scientifiques font des découvertes dans ces domaines c’est à nous, les gens comme vous et moi, d’obtenir cette information, et ce que j’essaie de faire c’est de comprendre autant que je peux et le traduire pour le public. ”
Ayant commencé sa carrière comme journaliste dans l’immobilier et la finance pour le Financial Post, Mitchell a rejoint le journal national The Globe and Mail pour y travailler sur les statistiques sociales et par la suite les sciences de la terre, et sa passion de longue date pour les sciences l’a conduite à en apprendre plus encore sur le monde.
“J’adore apprendre, dit-elle, et donc lorsque j’ai pris la position avec le Financial Post, mon premier job à temps plein comme journaliste, toute fraîche sortie de l’école de journalisme, je ne savais absolument rien sur la finance, ce fut un apprentissage incroyable.”
“Ce qui m’a conduite par la suite à Calgary où j’étais chef de bureau pour le Globe and Mail, et à Calgary on trouve énormément de sujets scientifiques, ils surgissent comme nulle part ailleurs dans le pays, alors je me suis trouvée immergée et voilà, je suis restée avec le domaine scientifique depuis. ”
Son immersion en sciences a quand même été simplifiée par le fait qu’elle bénéficiait d’une source experte et connectée toute proche.
“Mon père, explique-t-elle, est un biologiste qui a enseigné à l’Université de Regina et il fut en quelque sorte mon arme secrète de certaine façon parce qu’il avait tous ces contacts avec des biologistes des Prairies.”
“Ainsi, si j’avais une question concernant une espèce comme les ours polaires, il me disait: “oh, il faut que tu parles à Ian Stirling [professeur auxiliaire au Département des Sciences biologiques de l’Université d’Alberta et expert numéro un sur les ours polaires], c’est un vieil ami spécialisé dans leur étude.”
Son exploration des profondeurs de l’océan a cependant été provoquée par la découverte frustrante qu’elle ignorait presque tout de cet aspect écologique important du globe.
“J’ignorais complètement l’étendue du malaise de l’océan lorsque j’ai commencé, je voulais simplement comprendre le système, dit-elle, j’avais besoin de comprendre son mode de fonctionnement sur la planète et à mesure que j’avançais, j’ai été de plus en plus convaincue, je rencontrais des scientifiques et à leur contact je me suis rendue compte qu’ils découvraient que tout allait profondément de travers dans le fonctionnement vital de la planète.”
“Je me sentais un peu bête, parce qu’à ce moment-là j’étais la journaliste spécialiste des sciences de la terre au Globe, et je croyais que je connaissais le fonctionnement de la terre, et en fait non, je n’ai compris que lorsque j’ai plongé dans l’océan et une fois que j’ai réalisé ce qui se passe, il y a eu cette urgence de continuer l’exploration et puis d’en parler, c’est un des problèmes que les gens ne connaissent pas vraiment. ”
Cette nouvelle connaissance, cette recherche et cette collaboration avec des experts ( y compris Tim Flannery, le militant australien en écologie et réchauffement climatique) tout cela a engendré son livre Mal de mer, que Mitchell a transformé en une pièce de théâtre qu’elle présente tout autour du monde pour éclairer de plus en plus de gens sur l’état critique des océans de la planète, tout en la propulsant elle-même en dehors de sa zone de confort.
“C’est très différent [de l’écriture], dit-elle, et c’est une petite pièce étrange parce que ce n’est pas de la fiction, ce qui est atypique, et je ne suis pas une artiste, c’est donc un grand bond dans le vide. Je n’aurais jamais, absolument jamais, imaginé écrire cette pièce, ni même que je viendrais en Australie, même dans mes rêves les plus fous.”
“Pour une journaliste, il y a tout le processus de dénicher l’information et de la transcrire, et si au bout du compte tu en parles aussi, c’est utiliser un tout nouveau media, et puis en faire une pièce de théâtre avec la mémorisation de 10 000 mots et investir une scène pendant 75 minutes, tout cela est tout simplement terrifiant, ce n’est pas facile et c’est loin de le devenir.”
Selon Mitchell, les Australiens ont en général une meilleure compréhension de et une meilleure connexion avec l’océan que la plupart des gens de la planète. La nature côtière du style de vie australien en est un facteur, tout autant que le site remarquable inscrit sur la liste du patrimoine qui constitue un indicateur constant de la santé globale de l’océan : la Grande barrière de corail.
“Je trouve les Australiens bien plus impliqués avec l’océan, dit-elle, parce qu’ils ont ce littoral immense et peut-être parce qu’ils s’en inquiètent d’une façon différente.”
“Lorsque quelque chose d’aussi massif et écologiquement important que la Grande barrière de corail est menacé comme elle l’est en ce moment, dans un tel état désespéré, quand cela arrive, c’est le signal que quelque chose sur notre planète est mal en point, alors c’est quelque chose qu’on ne peut ignorer.
“On a trois côtes au Canada, ajoute-t-elle, et lorsque je me déplace dans ces endroits pour y parler, j’y trouve une connexion plus qu’intrinsèque avec les océans, les populations semblent bien plus connectées viscéralement. Et bien sûr en Australie c’est ce qu’on remarque où qu’on aille.”
“Mais quand je vais dans d’autres régions du Canada, par exemple à Toronto où j’habite, ce que j’entends souvent c’est ‘oh, ce n’est pas vraiment mon problème’, il y a donc tout ce processus d’essayer d’expliquer qu’on tous interdépendants, que chaque espèce sur cette terre est dépendante de ce qui arrive aux océans, et c’est juste un morceau qui manque dans ce puzzle qu’est la compréhension du monde.”
Se trouver à Darwin, qui doit son nom au naturaliste et biologiste Charles Darwin, c’est extrêmement passionnant pour Mitchell qui a étudié l’enseignement de Darwin pendant tout son apprentissage scientifique, et en particulier la visite à Kakadu qui comble un rêve de longue date tout autant que sa propre curiosité naturelle.
“Je suis très impatiente, explique-t-elle, je suis venue deux fois en Australie déjà et à chaque fois je me suis plongée un peu plus dans les peintures rupestres et le Dreamtime. ”
“J’entreprends ces études complémentaires pour tenter de comprendre les droits des Autochtones en Australie et les comparer à ceux du Canada. Et en fait la collaboration est bien présente maintenant entre les deux pays. ”
Alanna Mitchell a présenté son spectacle au Festival de Darwin grâce au soutien du Haut-Commissariat du Canada et du Consulat général du Canada. Son livre Mal de mer ainsi que toute autre information sur sa tournée sont disponibles sur son site web.