Laurie Lynd : Fidèle à sa voix
La première fois que le canadien Laurie Lynd a tourné un film, c’était par l’objectif d’une caméra super 8. Si vous pensez que l’on suggère cet ancien type de caméra ou son âge à ce moment-là, vous aurez raison.
Maintenant, quelques années plus tard, désormais réalisateur et scénariste primé de nombreuses fois, Lynd continue passionnément d’enregistrer des histoires de Toronto, sa ville.
Il a travaillé pour des séries célèbres comme Murdoch Mysteries ou Schitt’s Creek et des personnalités du cinéma canadien contemporain tels que Daniel MacIvor ou Drake. Dans le monde du cinéma, chacun de ses courts ou longs métrages est un portrait avant-garde des voix queer ; c’est un talent qu’il apporte au format documentaire dans son dernier film Killing Patient Zero.
Ce film raconte l’histoire du canadien Gaëtan Dugas souvent nommé (de façon incorrecte) “Patient Zéro”, déconstruisant le mythe selon lequel il fut responsable de l’introduction de l’épidémie de SIDA en Amérique du Nord. Peu après sa première internationale au Queer Screen Film Fest de Sydney, Lynd s’entretient avec Canada Down Under expliquant pourquoi ce film est bien plus qu’un simple acquittement.
“J’avais une assez bonne idée de l’histoire que je voulais raconter, nous explique Lynd. Ce n’était pas uniquement l’histoire de Patient Zero. J’avais besoin de lui redonner son contexte pour un public contemporain qui n’en avait pas conscience.”
“Le simple fait que c’était illégal, illégal d’être gay, je voulais faire comprendre aux gens que tout ceci est bien récent et que l’épidémie de SIDA ne s’est répandue qu’à peine dix ans après le plein essor de la libération gay.”
Pour Lynd, rendre justice à Gaëtan Dugas signifie se rappeler le mouvement de libération gay en Amérique du Nord et la lutte pour les droits LGBTQI.
“L’une des plus fortes réactions que j’ai ressenties en faisant ce film, nous dit-il, c’est la colère. En colère comme je ne l’avais pas été depuis longtemps contre la société et la façon dont elle traitait les homosexuels. Et je suis encore en colère contre la société d’aujourd’hui qui l’a oublié.”
“Il semble que notre histoire est si rapidement remisée dans l’oubli de nos jours.”
Le film qu’il déclare être “un film assez explicite sur la sexualité homosexuelle” résonne peut-être plus fort par son examen minutieux de l’homophobie intériorisée, et ses différents aspects dans la société.
“Je pense qu’il est important de recadrer, ajoute-t-il. Nous devons nous débarrasser de cette emprise sur nous.”
“C’est l’un des aspects que je voulais absolument aborder dans le film. Pour moi, c’est l’aspect le plus important de ce film.”
Mais bien qu’il pense qu’il est important de reconnaître les préjugés et de les pointer du doigt, Lynd veut aussi célébrer les réussites durement obtenues par les militants LGBTQI, et les petites victoires qu’on en retient. Lynd nous raconte sa joie de voir flotter un drapeau de fierté dans l’Ontario rural. Il s’arrête même au milieu de sa phrase pendant notre conversation, nous faisant remarquer un couple de l’autre côté de la rue et nous disant : “Vous voyez ces deux gars qui se tiennent la main. On progresse.”
Si l’on considère le succès instantané de Killing Patient Zero, son premier documentaire, c’est encore une autre chose qui mérite être soulignée. Pour sa première internationale et deuxième fois sur les écrans, la réponse fut incroyable. La projection a eu lieu à guichets fermés et les organisateurs du festival furent contraints de dénicher une salle plus grande pour accueillir le public le plus large du festival jamais atteint jusques là. Le film a aussi reçu le prix du public pour le meilleur documentaire.
“Ce film, je veux qu’il soit plus qu’un succès pour moi, ma carrière et ma réputation, nous explique-t-il. Je souhaite qu’il ait du succès parce que je pense que son message est si important.”
“Je suis très reconnaissant au Consulat général du Canada d’avoir permis ma visite ici pour rencontrer des gens et constater l’impact de ce travail. Cela inspire à aller plus loin, c’est une vraie source d’inspiration.”
Et bien sûr il partage aussi un peu de fierté bien méritée.
“Je remercie le film parce que je sens qu’il m’a permis de retrouver le monde du cinéma queer. L’une des personnes qui m’a interviewé au moment de sa sortie à HotDocs [à Toronto] m’a demandé si je pensais que ce film serait celui qui scellerait ma réputation. Et je lui ai répondu : ‘Je pense que oui. ’.”
Bien sûr, tout n’a pas toujours été un long fleuve tranquille. Réaliser son rêve de jeunesse de devenir réalisateur n’a pas été sans embûche. Lynd lui-même continue de se chercher et de se défaire de sa propre homophobie intériorisée, quelque chose qu’il avoue avoir toujours combattu et qu’il continuera sans doute de combattre toute sa vie.
S’adressant aux jeunes réalisateurs queer, Lynd donne un conseil qui est simple et sincère. Il emprunte à l’un de ses modèles personnels.
“Pour être vraiment gay et citer Judy Garland qui disait : Ne soyez pas une version amoindrie de quelqu’un d’autre. Soyez vous-mêmes à fond.’ Et je pense que c’est un bon conseil pour quiconque. Mais pour quelqu’un qui se lance dans les arts, il faut être fidèle à soi-même et écouter sa voix intérieure autant que l’on peut. C’est ce qui est le plus intéressant.
“Il est facile de croire que toutes les histoires ont déjà été dites. […] je pense que les jeunes artistes doivent avoir foi dans leur propre voix. C’est la chose la plus importante qu’ils peuvent faire.”
Killing Patient Zero faisait partie du Queer Screen Film Festival.
Le Consulat général du Canada à Sydney est fier d’apporter son soutien au Cinéma Queer et d’avoir contribué à la visite de Laurie Lynd en Australie et à la projection de son film en Australie.
Photos: The Aperture Club