
Ce n’est pas qu’une question d’ours polaires : Sheila Watt-Cloutier
Sheila Watt-Cloutier voyage de par le monde avec un avertissement. La glace est en train de fondre.
Watt-Cloutier, célèbre militante Inuit canadienne, mène une campagne très active pour avertir du réchauffement climatique depuis plusieurs années, et son message est très clair: ça se passe en ce moment.
“De nouvelles espèces d’insectes, de poissons et d’animaux arrivent dans l’Arctique maintenant. Des constantes météorologiques imprévisibles rendent, dit-elle, les conditions exactes et objectives de lecture très difficiles pour les populations, et les glaces prennent bien plus tard dans certaines régions de notre monde circumpolaire et se brisent.”
“Le permafrost en fondant impacte les maisons, les bâtiments et l’infrastructure parce qu’ils commencent à céder, y compris nos pistes, c’est donc la culture, l’infrastructure, l’environnement, c’est tout à la fois.”
Invitée en Australie pour participer au Festival des Écrivains de Melbourne, et au Festival des idées dangereuses de Sydney, Watt-Cloutier est bien connue comme défenseur des droits des Indigènes dans le monde entier, ayant reçu en 2015 le Right Livelihood Award, mieux connu sous le nom de Prix Nobel alternatif.
Née à Kuujjuaq au Nunavik dans le nord du Québec, Watt-Cloutier a passé les dix premières années de sa vie sur la glace se déplaçant uniquement par voie de traîneau avant d’être envoyée à l’école. Elle a depuis travaillé pour l’éducation indigène, les droits de l’homme et la santé, avant de devenir Présidente du Conseil circumpolaire Inuit.
“Elle explique que le Conseil circumpolaire Inuit, autrefois appelé la Conférence circumpolaire Inuit, a vu le jour en Alaska en 1976 pour unifier les Inuits du monde entier et affirmer unitairement leur voix dans le but d’essayer de faire face aux conséquences négatives sur l’environnement dans les territoires, et à ce moment-là il s’agissait des catastrophes pétrolières en Alaska.”
“Ce mouvement est devenu une organisation super efficace et bien connue qui a obtenu le statut d’observatrice aux Nations Unies, et j’ai été élue onze ans au sein de cette organisation, sept ans avec le Canada et puis quatre années à la présidence internationale des quatre pays.
“Grâce à notre statut d’observateur aux Nations Unies, nous avons pu intervenir pour les négociations sur la question des toxines, ou des négociations sur le changement climatique etc., nous avons pu apporter notre voix dans ces processus.
“Bien sûr, ajoute-t-elle, depuis le début il est toujours question d’environnement et de sa protection, parce que pour nous, l’environnement ne s’arrête pas à l’environnement.”
“Nous touchons à la culture, la protection de la biodiversité, c’est une approche d’ensemble que nous donnons à l’environnement. Il ne s’agit pas seulement d’espèces animales spécifiques, ce n’est pas seulement une question d’embrasser les arbres, c’est en vérité tout un style de vie que nous protégeons par ce processus, et c’est resté aujourd’hui, la protection des droits et intérêts des Inuits du monde circumpolaire, et l’environnement est abordé dans pratiquement tous les dossiers que nous ouvrons. ”
Issue d’un contexte d’enseignements traditionnels, Watt-Cloutier affirme qu’avec les conséquences croissantes du changement climatique dans l’Arctique on prend le risque de perdre les aspects vitaux de la culture et des enseignements Inuits.
“Quand on est sur place, dit-elle, et qu’on apprend, on apprend à devenir le soutien compétent de la famille, on apprend à être un conservateur naturel par le respect de la nature et de ce qui nous entoure, mais on apprend également à se connaître tout autant qu’à connaître les aspects techniques du bon cueilleur.”
“On apprend à être patient quand on attend l’arrivée de la neige, la formation de la glace, l’apaisement des vents et l’apparition des animaux. On apprend à se connaître soi-même, on apprend à prendre les risques calculés nécessaires à sa survie, à répondre à la pression, à supporter les situations contraignantes. Au final on apprend à développer une appréciation saine de ce qui nous arrive pour pouvoir survivre et prospérer, devenir ce soutien essentiel, et en fin de compte on apprend à devenir une personne sage à même de faire le bon choix qui nous convient.
“La terre et la glace vous apprennent tout cela, c’est donc une façon très intégrale d’apprendre à la fois les aspects techniques de la chasse et la construction de la personnalité. Et donc il s’agit d’aptitudes précieuses dont on a besoin non seulement pour survivre et devenir un bon soutien sur ce territoire, comment évaluer les questions environnementales et les respecter, mais aussi ces aptitudes sont résolument transférables au monde moderne.”
Watt-Cloutier considère que le changement climatique affecte les communautés indigènes du monde entier de la même manière, par une perte de la culture et des apprentissages, et que cela transparaît de plus en plus souvent sur la scène internationale.
“Lorsque les gens, dit-elle, vont aux Nations-Unies pour participer aux négociations, qu’il s’agisse des polluants organiques persistants ou du changement climatique ou de la biodiversité, alors on rencontre des groupes indigènes similaires venus du monde entier, on travaille ensemble et on réalise qu’on a plus de points en commun que de différences, parce que les populations indigènes du monde entier sont très en connexion avec leurs terres, leurs langues, leurs coutumes, leurs traditions et notre environnement.”
“Nous sommes probablement les plus vulnérables aux changements climatiques, mais nous ne possédons que les mécanismes les moins sophistiqués pour nous adapter à ces transformations rapides, et nous avons aussi probablement beaucoup moins à gagner des affaires et des industries de la planète.”
Watt-Cloutier espère que ses déplacements, tout comme son livre The Right to Be Cold, servira d’inspiration aux habitants du monde entier afin que les conséquences et les dommages engendrés par le changement climatique soient considérés avec plus d’attention, quand bien même ceux-ci ne sont pas encore visibles ni ressentis dans leur voisinage.
“Je pense, dit-elle, qu’établir une relation personnelle avec les gens est toujours efficace, parce qu’on entend parler de ces choses lointaines, et qu’on n’est pas trop sûr du rôle à jouer par rapport à ces gens qui vivent sur la glace et portent des fourrures, pas trop sûr de ce qu’on peut en penser, mais je trouve que où que ce soit que je voyage dans le monde, y compris ici, la relation humaine compte énormément.”
“Que le public soit canadien, américain, européen ou australien, quand on établit une connexion à ce niveau les gens voient qu’on est dans le même bateau, que nous sommes tous parents, que nous voulons le meilleur pour l’avenir de nos enfants et de nos petits-enfants, et j’espère pouvoir raconter l’histoire et permettre aux gens de penser différemment.”
Le pouvoir au peuple, dit Watt-Cloutier, c’est la clé.
“Ce qui arrive dans l’Arctique ne se limite pas à l’Arctique, explique-t-elle, cela affecte tout le monde. Cela peut avoir des conséquences sur les courants océaniques, et peut enclencher toute une série de tornades et d’ouragans, de sécheresses et de feux de brousse, etc. parce que le climatiseur de la planète est en passe de rendre l’âme et cela fait des ravages ailleurs dans le monde. ”
“C’est cette sorte de prise de conscience que j’essaie de réveiller dans tous mes colloques, cette connexion humaine qui fait que lorsqu’ils m’entendent parler et comprennent que cela concerne les enfants, les familles et les communautés, pas seulement la science, pas seulement la glace, pas seulement les ours polaires, alors il y a bien plus qu’une connexion qui s’établit, plus qu’un lien. J’en suis toujours le témoin, c’est pourquoi j’ai confiance dans les peuples. ”