
Avan Yu et les manières de comprendre
Avan Yu a poliment patienté face aux multiples échecs techniques (les miennes) et aux procédures de l’aéroport (les siennes) comme un homme qui sait que rien de bon ne vient sans persévérance et répétition.
Sans les deux, vous ne pouvez pas déménager de Hong Kong à Vancouver à dix ans à peine , quitter le Canada pour de séjours temporaires à Paris, à Berlin et à New York et à 30 ans, être l’un des pianistes les plus palpitants du monde.
Pourtant, Avan (prononcé “raven”) sait que pour être un pianiste de concert de qualité, au-delà de la persévérance et de la répétition, il doit y avoir autre chose: la compréhension. Prenez par exemple son parcours personnel avec Maurice Ravel.
Ravel est un compositeur spécial pour lui, une pierre angulaire, et une référence pour ses performances lors de sa prochaine tournée australienne où le Tombeau de Couperin du Français sera présenté avec des pièces de Mozart et Lizst. Jouer sur le piano même de Ravel, dans la maison de celui-ci à l’extérieur de Paris pour une récente performance, était plus qu’un quelconque spectacle sur un quelconque piano.
D’abord, comprendre le ton, le tempo et même combien de temps les notes résonnaient pour le compositeur, tel qu’il a été dérivé de l’instrument et non pas seulement des notations sur la page, est un cadeau rare à tout interprète. « Jouer sur le piano du compositeur, entendre comment les notes sonnaient lorsqu’il composait, la façon dont l’instrument répondait … vous obtenez des informations de première main, c’est quelque chose de très spécial », explique Avan. « Non seulement j’ai joué sur son piano mais j’ai également vu une panoplie de ses objets personnels, dans sa maison, et cela en dit long sur la personnalité de Ravel. »
Comprendre l’environnement d’un compositeur, sa façon de penser, est un élément clé du travail d’interprétation pour Avan. Tout comme le contexte poétique derrière des œuvres telles que Winterreise de Schubert, l’une des plus grandes collections de la chanson classique, et aujourd’hui le sujet du plus récent album d’Avan où les pièces ont été transposées pour piano solo.
« Je pense qu’il est crucial de comprendre la musique en sachant de quoi parle le texte », dit-il. « Schubert a choisi des poèmes qui résonnaient avec lui et il a mis la musique au texte, pas l’inverse, et si vous analysez ces chansons, vous verrez qu’elles sont très étroitement liées à ce qui se passe dans le texte, pas seulement à un niveau superficiel mais à des niveaux psychologiques différents. Il était donc important pour moi d’apprendre le texte. »
C’est peut-être ici que vous pouvez comprendre la pensée d’Avan selon laquelle il n’y a pas ou qu’il ne devrait pas y avoir de différence entre un artiste technique à l’état pur, un interprète, et un communicateur. « Ce n’est pas la même chose mais [avoir tous ces éléments en vous] est important pour un être musicien, point » dit-il. « La technique n’est pas seulement la vitesse à laquelle vous jouez, mais c’est aussi la capacité technique de créer des couleurs, de créer des ambiances et des sons différents. »
Cela ne sont pas seulement des pensées oisives. Avan a été vu pour la première fois en Australie en 2012 quand, parmi neuf autres récompenses qu’il a rassemblées, il a été nommé le gagnant du Sydney International Piano Competition à l’âge de 25 ans. À ce moment-là et depuis l’âge de 12 ans, il était déjà un pianiste interprète et un récipiendaire de prix, dont le plus jeune gagnant du Concours canadien Chopin à l’âge de 17 ans.
Une des critiques, juste ou non, faite aux jeunes musiciens est qu’ils sont techniquement doués mais pas encore capables de saisir tous les éléments émotionnels et psychologiques de la musique. C’est une critique pour laquelle Avan a peu de temps à consacrer.
« Il est injuste de dire cela car si on pense aux grands compositeurs, beaucoup d’entre eux quand ils ont commencé étaient des enfants. Dire qu’ils étaient incapables de comprendre les sentiments, c’est essentiellement nier la capacité des adolescents à ressentir », dit-il.
« Parfois, certaines de ces musiques traitent de sujets lourds, de choses qu’un adolescent normal n’aurait peut-être pas encore rencontrées, mais vous pouvez toujours user de votre imagination. »
« Tous ces artistes qui peignent, pour l’église, l’enfer : comment savent-ils à quoi ressemble l’enfer, est-ce que cela en fait un art vraiment superficiel ? Je ne le pense pas. »